Hydrogène ! selon la Cour des comptes de l'UE, les objectifs irréalisables

Hydrogène : selon la Cour des comptes de l'UE, les objectifs européens sont irréalisables

En 2020, la Commission européenne présentait sa stratégie pour développer l'hydrogène renouvelable. Quatre ans plus tard, la Cour des comptes de l'UE en dresse un bilan particulièrement critique et appelle à un retour à la réalité.

En matière d'hydrogène « vert », l'Europe n'est pas sur la bonne voie. « Les objectifs fixés pour 2030 en matière de production et de demande de dihydrogène (H2) d'origine renouvelable étaient trop ambitieux », conclut la Cour des comptes de l'Union européenne (CDC UE) dans un rapport (1) publié ce mercredi 17 juillet. Quatre ans après la présentation de la Stratégie européenne pour l'hydrogène « vert », l'institution luxembourgeoise appelle à la relire à « l'épreuve de la réalité », d'en tirer les conséquences et de réévaluer son niveau d'ambition.

Une cible beaucoup trop audacieuse

Remise en juillet 2020, la stratégie en question tablait sur une production annuelle d'un million de tonnes d'hydrogène renouvelable, à l'échelle européenne, dès 2024. Le tout à l'aide d'au moins 6 gigawatts (GW) d'électrolyseurs. Le règlement RePowerEU, proposé en réponse à la guerre en Ukraine, est venu pousser le curseur jusqu'en 2030 jusqu'à atteindre des rythmes de production et d'importation de 10 MtH2/an chacun, notamment grâce à 40 GW d'électrolyseurs installés.

Évolution estimée des installations d'électrolyseurs en Europe.© Cour des comptes de l'UE

Premier souci : en réalité, à la fin de l'année 2023, cette capacité n'atteignait que 191 mégawatts. Quant aux projections actuelles pour 2030, elles misent sur seulement 2,7 GW d'électrolyseurs au « stade avancé », c'est-à-dire opérationnel ou en construction. Et dans uniquement quatre pays pour plus de la moitié des cas : l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas et la France. Par ailleurs, comme le souligne la Cour des comptes de l'UE dans son rapport, l'objectif de production de 10 MtH2/an pourrait « nécessiter jusqu'à 140 GW d'électrolyseurs ».

Comment expliquer un tel décalage de la part de la Commission européenne ? D'après l'investigation des auditeurs luxembourgeois, « l'objectif initial en matière de capacité d'électrolyse (40 GW) a été préconisé dans un document (A 2x40 GW Initiative) publié par un groupe de pression de l'hydrogène », la fédération européenne Hydrogen Europe (2) . Les objectifs fixés par Bruxelles étaient donc « dictés par une volonté politique, sans reposer sur une analyse rigoureuse ».

Autre impair de la stratégie : la demande. D'après les estimations compilées par la CDC UE, elle devrait plutôt osciller entre 3,8 et 10,5 MtH2/an, soit bien en-deçà des 20 MtH2/an envisagés par la Commission européenne. « L'objectif de production initial reposait principalement sur la consommation réelle d'hydrogène d'origine fossile (c'est-à-dire, produit à partir de gaz naturel) dans l'UE, qui était de 8 à 10 Mt en 2020 selon la source de données utilisée, indique la CDC UE. Toutefois, rien ne garantit que cette consommation d'hydrogène d'origine fossile sera entièrement remplacée par de l'hydrogène renouvelable » en temps voulu.

“ Rien ne garantit que la consommation d'hydrogène d'origine fossile sera entièrement remplacée par de l'hydrogène renouvelable ” CDC UEEn effet, rien qu'au regard des plans nationaux intégrés énergie-climat (Pniec), rendus à la Commission par les États membres l'an dernier (dans leurs premières versions), seuls dix-huit d'entre eux (dont la France) misaient sur l'hydrogène renouvelable et aucun, hormis l'Allemagne, envisageait d'en importer. Autrement dit, tout porte à croire que les objectifs européens demeurent irréalisables. D'autant que, comme le remarquent les auditeurs dans leur rapport, « il n'existe aucune stratégie globale de l'UE en matière d'importation » d'hydrogène renouvelable.

Une réglementation solide mais des financements insuffisants

Qu'en est-il des moyens donnés par la Commission européenne pour mettre en œuvre une pareille stratégie ? Selon la CDC UE, « la Commission est parvenue en partie à créer les conditions propices à l'émergence du marché de l'hydrogène et à sa chaîne de valeur dans l'UE. Le cadre juridique est presque entièrement établi et a apporté une stabilité essentielle à la mise en place d'un nouveau marché. Il a cependant fallu du temps pour s'accorder sur les règles relatives à la définition de l'hydrogène renouvelable, et de nombreuses décisions d'investissement ont été reportées. » Il ne manque qu'un règlement délégué censé compléter la définition de l'hydrogène « bas carbone » (produit, par exemple, grâce à l'énergie nucléaire) par une méthode d'évaluation de son bilan carbone. Hydrogène qui n'est, d'ailleurs, pas pris en compte par la stratégie européenne mais sur lequel de nombreux acteurs, notamment industriels, veulent pouvoir s'appuyer pour satisfaire ses objectifs.

Quid de l'hydrogène naturel ?

L'Europe a-t-elle une autre option que le « renouvelable » ou le « bas carbone » pour décarboner l'hydrogène consommé par son industrie ? Dans un avis publié le 16 juillet, l'Académie des technologies appelle l'UE à « labéliser l'hydrogène naturel, également appelé hydrogène "blanc", en tant qu'hydrogène décarboné ». Celui-ci, produit par des réactions chimiques naturelles en sous-sol, est notamment présent en France. Et depuis son introduction dans le code minier en 2022, deux entreprises disposent déjà des permis d'exploration : TBH2, près d'Orthez (Pyrénées-Atlantiques), et 45-8 Energy, dans la Nièvre et dans le Doubs. L'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen) s'est même vu confier une évaluation complète du gisement hexagonal par la direction générale de l'Énergie et du Climat (DGEC).La CDC UE regrette néanmoins la relative maigreur des subventions fournies par Bruxelles pour débloquer les investissements nécessaires au déploiement de la filière. D'après ses calculs, entre 2021 et 2027, la Commission européenne a prévu ou prévoit de débloquer 18,8 milliards d'euros, notamment à travers le programme de relance du plan NextGenerationEU et le Fonds pour l'innovation sous forme de projets importants d'intérêt européen commun (Piiec). Certains financements sont désormais dirigés vers la Banque européenne de l'hydrogène. Ouverte en novembre 2023, avec un premier guichet à 800 millions d'euros, celle-ci devrait fournir 1,2 milliard de plus en 2024. Tout cela reste, malgré tout, insuffisant. Les auditeurs luxembourgeois évaluent plutôt entre 335 et 471 milliards d'euros les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de la stratégie européenne, dont au moins 200 à 300 milliards pour accroître les capacités en électricité renouvelable et 50 à 70 milliards pour déployer les électrolyseurs.

Or, si l'Europe veut compter sur suffisamment d'hydrogène renouvelable ou bas carbone pour décarboner son industrie, elle doit pouvoir en amortir le coût de production et ainsi le rendre compétitif face à celui de l'hydrogène « gris » déjà employé ou d'un hydrogène « vert » produit ailleurs à moindre coût. Autrement, « la compétitivité des industries clés risque de diminuer et de nouvelles dépendances stratégiques pourraient se créer », aboutissant au résultat inverse de la volonté européenne. Par conséquent, la CDC UE réclame que la prochaine Commission européenne se dote d'une « évaluation minutieuse » de la situation et actualise ainsi sa stratégie en hiérarchisant les aides à fournir à la filière et les industries qui devront bénéficier d'incitations à consommer de l'hydrogène renouvelable.

1. Consulter le rapport de la CDC UE
https://www.eca.europa.eu/ECAPublications/SR-2024-11/SR-2024-11_FR.pdf2.

 Accéder au document d'Hydrogen Europe
https://hydrogeneurope.eu/wp-content/uploads/2021/11/Hydrogen-Europe_2x40-GW-Green-H2-Initative-Paper.pdf

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Félix Gouty, journaliste
Rédacteur spécialisé

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